Le 3 juin 2025, l’Assemblée nationale a adopté en deuxième lecture la proposition de loi introduisant la notion d’homicide routier dans le droit pénal français. À première vue ou, à première « ouïe », on pourrait penser que cette adoption va marquer une avancée, qu’elle va répondre aux revendications des nombreuses familles de victimes d’accidents de la route mais qu’en est-il en réalité. Le mot “involontaire”, utilisé jusqu’à présent dans les dossiers des victimes d’accident de la route, est perçu comme une injure par celles et ceux dont les proches ont été fauchés par un conducteur alcoolisé, sous stupéfiants ou roulant à des vitesses extrêmes. Cette réforme, souhaitée de longue date par des collectifs, des avocats, des élus et des citoyens, visait à mieux reconnaître la gravité morale de certains comportements au volant.
Mais à y regarder de plus près, ce nouveau texte soulève de nombreuses déceptions. Car si le changement de nom restera salué, il n’en sera rien du contenu pénal puisque cette nouvelle loi ne modifie pas les peines encourues. Cela fait naître une interrogation légitime : peut-on réellement parler de victoire lorsque tout repose sur un changement sémantique (si indispensable soit-il) ? Dans les lignes qui suivent, nous verrons pourquoi ce texte est loin de satisfaire toutes les attentes, et pourquoi certains y voient davantage un effet d’annonce politique qu’une réelle réforme de fond.
Quelle est la portée réelle de cette nouvelle loi ?
Pour bien comprendre la portée — ou les limites — de cette proposition de loi, il faut en examiner les fondements. Le texte remplace la qualification d’ »homicide involontaire dans un accident de la route » par celle d’« homicide routier », dans les cas où la conduite du mis en cause est marquée par les circonstances aggravantes qui étaient déjà prévues par la loi de l’homicide involontaire :
- alcoolémie excessive,
- usage de stupéfiants,
- vitesse excessive, etc.
Il s’agit donc d’un changement purement sémantique, car les peines maximales encourues restent strictement les mêmes. L’auteur d’un homicide routier pourra être condamné à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, voire 10 ans et 150 000 euros s’il cumule deux circonstances aggravantes. Ces seuils étaient déjà ceux de l’homicide involontaire dans un accident de la route. Autrement dit, la grille des sanctions n’a pas été revue.
Dès lors, la question se pose : pourquoi ne pas avoir accompagné ce changement de nom d’un véritable ajustement du cadre punitif ? Peut-être aurait-il fallu que les parlementaires entendent davantage les appels répétés des familles, pour qui le changement de mot ne peut suffire à réparer l’injustice ressentie. Car ce qui est en jeu ici, c’est aussi la perception de la justice par ceux qui souffrent, et pour nombre d’entre eux, cette perception ne saurait être modifiée par les mots seuls.
Mettre des mots justes, mais sans répondre aux attentes profondes
Il serait malvenu de nier l’importance du langage dans les affaires de ce type. Le mot “involontaire”, appliqué à des cas où l’auteur a pris le volant drogué ou ivre, heurté une victime, puis pris la fuite, crée une distance insupportable avec la réalité du drame vécu. De nombreuses familles témoignent du choc ressenti lors de la lecture du chef d’accusation. Comment qualifier d’involontaire un enchaînement d’actes qui, tous, étaient des décisions conscientes ?
À ce titre, l’introduction du terme homicide routier est une avancée. Elle permet de souligner le contexte spécifique dans lequel ces morts surviennent, et de rappeler que conduire est un acte de responsabilité, que certains détournent de manière volontairement dangereuse.
Mais cette avancée est immédiatement limitée par l’absence de conséquences concrètes dans l’échelle des sanctions. Le droit continue de traiter ces faits comme relevant de la même logique que toute autre forme d’homicide involontaire. La charge symbolique du mot évolue, mais le droit, lui, ne change pas. Il est donc compréhensible que beaucoup voient dans cette réforme un habillage linguistique sans traduction effective. Cette stagnation législative affecte la confiance dans la justice et pourquoi elle est perçue par certains comme un nouveau rendez-vous manqué.
Un texte soutenu politiquement mais vide de réformes structurelles
Le soutien massif qu’a reçu la proposition à l’Assemblée — 194 voix contre seulement 6 — témoigne d’un large consensus sur le plan politique. Pourtant, cette quasi-unanimité ne traduit pas une ambition réformatrice. Elle traduit plutôt la volonté de répondre symboliquement à une demande populaire sans prendre le risque d’un réel changement structurel.
Pourtant, les familles et associations de victimes de la route, elles, attendaient un texte qui modifie réellement la nature de la réponse pénale et pas uniquement l’étiquette apposée sur un dossier. Elles réclamaient que le droit tienne compte du fait que la prise de drogue ou d’alcool avant de conduire, aujourd’hui, n’est plus un acte banal, mais une transgression pleinement consciente. Elles espéraient que l’on reconnaisse que certains accidents ne sont pas des tragédies aléatoires, mais le résultat d’un mépris manifeste des règles de sécurité.
Or, rien de tout cela ne transparaît dans le texte adopté. Il aurait fallu plus qu’un gage donné à l’opinion, il aurait fallu une réelle réforme au service des victimes. Cela aurait montré une écoute des familles des victimes mais aussi une réponse pénale avec un durcissement des sanctions encourues de manière à augmenter l’arsenal dissuasif visiblement trop faible jusqu’à présent.
Le sentiment d’abandon des familles face à la justice
Ce que les proches de victimes expriment depuis longtemps, c’est une douleur doublée d’une forme d’incompréhension judiciaire. Mais comment peut-on espérer un apaisement lorsqu’on voit que celui qui a tué votre enfant en ayant cumulé des circonstances aggravantes va quitter le tribunal avec seulement deux années de prison ? Comment croire en la justice pour enrayer un phénomène lorsque les sanctions ne se durcissent pas ?
La réforme aurait pu changer cette dynamique. Elle aurait pu inscrire aussi dans les sanctions l’idée que certaines fautes au volant sont quasi-intentionnelles, tant elles traduisent un mépris du danger. Au lieu de cela, le texte se contente d’offrir une nouvelle dénomination, sans outiller réellement les magistrats et ne crée pas une nouvelle gradation des niveaux de responsabilité.
Un effet d’annonce sans effet réel sur les pratiques
Toutes celles et tous ceux qui ne sont pas des professionnels du droit doivent bien avoir conscience que ce type de réforme, très commentée dans les médias mais peu contraignante, est typique de ce que l’on appelle un effet d’annonce. On annonce un changement de paradigme, on parle de rupture, de reconnaissance, mais le texte lui-même ne contient aucune modification des outils réels du droit.
On laisse simplement entendre au grand public que la nouvelle loi sera un moyen de se montrer plus ferme alors que ce n’est pas le cas en l’occurrence dans la réalité.